La Tannerie

17 / SOUS COULEUR

Du 25 juillet au 20 septembre 2020

SOUS COULEUR

Exposition collective / Commissaire : Erwan Le Bourdonnec

Tenir et lâcher

Sous couleur signifie « sous prétexte de », expression choisie en titre pour proposer un regard en mouvement, au-delà de la surface peinte. Sous couleur de la peinture choisie comme médium, nos trois artistes interrogent le lieu, la nature et le mouvement de l’œuvre.

Sylvie Turpin, en introduction du livret de l’exposition de la couleur (G. Gross, N. Guiet, A-P. Thorel – exposition du 14 mai au 3 septembre 2011, AGART Amilly) écrit :

« La couleur est pour la peinture ce mouvement qui s’étend et se déplace ; une durée incarnée qui détache le regard de ce qui voudrait le fixer à une forme. Elle est la présence d’une indétermination fondamentale, d’un flottement des repères spatiaux. Le processus de la mise en œuvre n’est pas la production formelle d’un sujet, mais le tressage de toutes ces données ; matière, couleur, forme, poussent les unes dans les autres pour ne faire qu’un. »

Marie-Cécile Aptel, Soo-Kyoung Lee et Flora Moscovici travaillent ainsi la couleur, sans que l’on puisse vraiment isoler ou extraire ces données de leurs peintures. Dans chacune d’elles, un subtil équilibre des actions est à l’œuvre. Elles sont libres et retenues, affranchies et maîtrisées, lâchées et tenues. Au-delà des correspondances optiques, des vis-à-vis complices entre les œuvres, l’accrochage de Sous couleur propose une mise en espace convoquant la question haptique (du toucher) de l’objet peint.

 » Tenir ou lâcher »

Ces deux verbes – du geste, de la main, du toucher – contribuent parfois à qualifier la pratique de la peinture contemporaine, semblant distinguer de manière un peu binaire des partisans d’une composition dessinée, d’une géométrie cachée et maîtrisée (pour tenir la composition, le format), de ceux plus enclins à privilégier un geste libre sur la surface peinte (pour en conserver l’énergie par la trace).

Si « tenir ou lâcher » semble relativement clair pour qualifier ce qui relève du geste, cela devient bien plus subtil pour les œuvres présentées ici car nos trois artistes, dans leurs pratiques quotidiennes, composent avec ces deux actions. Chacune à sa manière joue de la complémentarité du couple tenu / lâché. Un espace embrassé, une surface d’étalement, des signes sous-jacents, dans une expansion chromatique, des dessins et recouvrements, une inscription de la forme ou des tracés libres, rien ne semble leur être étranger.

Marie-Cécile Aptel aime les grands formats, souvent plus grands qu’elle-même ; ce sont déjà des espaces à investir, où le regard et le corps circulent. Mais, si elle revendique le fait de « ne pas tout maîtriser », de laisser advenir et de ne pas « terminer » ses œuvres (pour se laisser la possibilité d’y revenir ou de les recouvrir), elle travaille souvent à partir de croquis, de petits dessins. Dans ces espaces de peinture, avec des souvenirs ou des émotions comme points de départ, elle invite les mots, les signes et les lignes, les faux aplats, jouant librement des accords chromatiques subtils et francs.

La maîtrise de son art est sûrement liée à cette pratique quotidienne à laquelle elle se consacre depuis des années, comme pourrait l’avoir un funambule, quelle que soit la longueur ou la largeur du fil tendu, à force de pratique.

Quel que soit le format, le travail de Soo-Kyoung Lee est fait sans préconception, c’est un face-à- face avec le plan qui, par combinaisons de lignes, fait émerger des îles, des formes organiques et fermées qui semblent voyager librement sur la surface de la toile. Elles ouvrent un espace dans le plan, semblent s’y poser, et parfois même s’en échappent hors champ.

Dans une perpétuelle déclinaison, Soo-Kyoung Lee change de formats (petit vertical moyen grand horizontal polyptyque portrait marine ou monumental) comme une danseuse changerait de scène, adaptant le geste initial à la mesure de l’espace pictural à prendre. La couleur monochrome choisie vient à la fin du processus, comme pour tenir (dans le sens de suspendre, arrêter) et faire vibrer ces formes entre elles.

Flora Moscovici aussi travaille l’espace, mais là c’est (utile ? ) au sens propre du terme. Elle peint dans les espaces qu’elle traverse, après avoir finement observé la nature des existants, la circulation de la lumière naturelle, la nature des supports et certains détails. Pour elle « Il s’agit d’une pratique de peintre au sens large, c’est-à-dire en pensant la peinture sous ses multiples définitions et en utilisant les possibilités extrêmement variées de ce médium, y compris dans ses marges. » Réalisée in situ, lors d’une résidence de création à La Tannerie, stalagmites de l’enduit déborde de la cimaise. Par un travail minutieux réalisé avec différentes brosses et médium, elle offre un paysage en panorama là où l’espace d’exposition proposait un mur d’accrochage sans ouvertures.

La couleur est en expansion dans l’espace. Lâchée et enveloppante, elle redéfinit les limites et la nature du support. C’est l’espace lui-même qui devient œuvre, tenu par la couleur.

L’exposition Sous couleur construit un paysage polymorphe, sorte d’archipel de peintures où la nature des œuvres (murs, châssis, toiles libres, papiers, objets…) et les différentes formats entrent dans un dialogue fécond. L’organisation de l’espace d’exposition, la construction de cimaises [parfois ouvertes], montre un télescopage d’échelles et de supports. Elle est une amplification des variations chromatiques, tenues et lâchées, proposées par Marie-Cécile Aptel, Soo-Kyoung Lee et Flora Moscovici. Sous couleur réactive ainsi le lien que la peinture entretient avec l’espace, et tout un héritage de l’histoire de l’œuvre peinte relative à la notion de lieu (de production, de monstration, de circulation).

Erwan Le Bourdonnec

Juillet 2020.

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